MOUVEMENT BURKINABÈ DES DROITS DE L\'HOMME ET DES PEUPLES (MBDHP)

INGÉRENCES MILITAIRES EN AFRIQUE : POUR LA LIBERTE ET LA DEMOCRATIE ?

2011 restera pour longtemps gravé dans les esprits comme l’année des profondes mutations dans la gouvernance politique sur le continent africain. En effet, les « révolutions arabes » ont marqué un tournant politique important dans la quête des peuples africains en faveur de la démocratie et de la liberté. Aux plus septiques, les évènements en cours dans le monde arabe rappellent les termes de l’article 35 de la Déclaration française des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 : « quand le Gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».

Ainsi donc, les anciens hommes forts de Tunisie et d’Egypte auront appris à leurs dépens que rien ne peut contre la volonté d’un peuple décidé à s’affranchir du joug d’un pouvoir répressif et dictatorial. Assurément, ces évènements ont un impact sur les consciences des populations de l’Afrique subsaharienne, elles aussi, excédées de subir le dictat de gouvernants peu soucieux du bien être de leurs peuples.

Naturellement, ces changements par leur ampleur et leur profondeur ont surpris plus d’un observateur et aiguisé bien d’appétits. En effet, les bouleversements évoqués plus haut, se sont accompagnés d’ingérence plus ou moins ouvertes de certaines puissances occidentales soit disant au nom de la liberté et de la démocratie. Ainsi, de la Tunisie à la Libye en passant par l’Egypte et même la Côte-D’Ivoire, l’activisme de certaines capitales occidentales nous amène à nous poser un certain nombre d’interrogations. Pour justifier l’intervention militaire contre le régime du colonel Kadhafi, le Président français  Nicolas Sarkozy prétendait « venir en aide à un peuple en danger de mort […] au nom de la conscience universelle qui ne peut tolérer de tels crimes » en vue de « protéger la population civile de la folie meurtrière d’un régime qui, en assassinant son propre peuple, a perdu toute légitimité ». Il en a été de même en Côte-D’Ivoire où le respect de la volonté du peuple ivoirien exprimée à travers le scrutin du 28 novembre 2010 a servi de prétexte pour une intervention directe de l’armée française appuyée par les hélicoptères de l’Opération de Nations Unies en Côte-D’Ivoire (ONUCI) contre le régime de Laurent GBAGBO. Dans un cas comme dans l’autre, les entreprises françaises profiteront largement de ces campagnes militaires.

 

La reprise en main de la Côte-D’ivoire par la France

D’abord en Côte-D’Ivoire, 24 heures après la chute de Laurent GBAGBO suite à l’intervention militaire de la France sous le paravent d’une légitimité onusienne très discutable, Paris annonçait à grand renfort de publicité, l’octroi d’une « aide » exceptionnelle de 400 millions d’euros pour dit-elle faciliter la reconstruction du pays. Cette célérité s’explique par la volonté de la France de marquer son terrain et de damer le pion à ses concurrents directs (USA, Chine). Mais en réalité, cette « aide » est un prêt accordé à des conditionnalités qui ne sont pas rendues publiques (comme c’est généralement le cas) et destiné entre autres à payer les arriérés de paiements dus aux Institutions de Breton Wood. Dans le même temps, le nouveau pouvoir ivoirien s’engage à indemniser les entreprises françaises victimes des évènements de novembre 2004 et à éponger les factures non payées d’eau et d’électricité pendant la crise postélectorale ; ces entreprises, faut-il le souligner, appartiennent également à des groupes français. Parallèlement, l’Elysée aurait dépêché sur place une batterie de conseillers plaçant ainsi sous son influence la majorité des secteurs économiques et des Institutions du pays.  Selon la Lettre du continent n°618 du 8 septembre 2011, Paris exerce un contrôle total sur le nouveau Pouvoir ivoirien. Ce sont les conseillers affectés par l’Elysée auprès d’Alassane OUATTARA qui décident dans tous les secteurs stratégiques tels que le budget, l’économie, la défense, les projets d’infrastructures, etc. Sarkozy serait même en train de rechercher des conseillers pour la fonction publique et la justice ivoiriennes en plus des conseillers déjà affectés aux secteurs des renseignements, de la défense, de la santé, de l’environnement et des communications. Toutes les charges qui découlent de ces nominations de conseillers sont évidemment aux frais de l’Etat ivoirien. A ce rythme, à quoi sert le gouvernement de Guillaume SORO ? Cette position prédominante de la France lui assure le contrôle total des matières premières ivoiriennes. C’est ce qui explique le voyage du premier ministre François FILLON à Abidjan en juillet dernier accompagné de nombreux patrons de grandes entreprises françaises (Alstom, Rougier, BNP Paribas, Touton, Cémoi, Bolloré Africa Logistics, NCT/Necotrans, les pétroliers Total, Lafon et Technip) en vue de renforcer davantage l’assise des entreprises françaises. Comme quoi, l’intervention directe des troupes françaises pour chasser Laurent GBAGBO du pouvoir a un prix que la Côte-D’Ivoire paie déjà très cher. La France signe donc son grand retour dans ce pays. Elle est aujourd’hui présente dans tous les secteurs stratégiques ivoiriens. Elle y décide en fonction de ses intérêts d’abord. Les ivoiriens ont un Président qu’ils ont peut-être élu démocratiquement mais qui dans les faits doit son pouvoir à la France qui d’ailleurs en profite bien. Sur le plan géopolitique, la France consolide sa présence militaire dans la sous-région officiellement remilitarisé sous le prétexte de la lutte contre le terrorisme.

 

La France en tête pour le partage du pétrole libyen

Sur le dossier libyen, il faut noter que la France a pris de gros risques en se mettant en première ligne. Pour ce faire, le président Nicolas Sarkozy a pris très tôt le leadership de la coalition occidentale. Il fut ainsi le premier chef d'Etat à reconnaître officiellement le Conseil national de transition (CNT) comme "seul représentant du peuple libyen". Il est également le premier Chef d’Etat à annoncer le début des opérations de la coalition. Aux premiers signes de la chute du régime du colonel, la diplomatie française prend les devants en annonçant pour début septembre une réunion avec le groupe de contact anti-Kadhafi et en organisant une conférence des « amis de la Libye ». Sarkozy s’entretient au téléphone avec le Premier ministre britannique et le Secrétaire Général de l’ONU et annonce la poursuite des opérations militaires jusqu’à ce que le colonel Kadhafi ne représente plus une menace pour son peuple. Cet activisme pour le moins intéressé a placé la France en pôle position dans le partage du gâteau libyen. En effet, dès le mois d’avril le CNT promettait 35% de part à la France dans l’exploitation du pétrole brut. Interrogé sur le sujet, le chef de la diplomatie française, Alain Juppé, a déclaré ne pas être informé d’une telle promesse tout en jugeant logique que les pays ayant soutenu les insurgés puisse bénéficier d’avantages lors de la reconstruction du pays. Et pour joindre l’utile à l’agréable, le Président français confronté à des difficultés intérieures, a perçu la situation en Libye comme un moyen d’élever sa côte de popularité dans les sondages dans la perspective de la présidentielle française ; comme si une campagne militaire pouvait suffire à faire oublier des résultats économiques piteux.

 

 

La complicité de l’ONU

Par ailleurs, le rôle de couverture joué par les Nations Unies mérite tout aussi d’être dénoncé. Il est à déplorer que cette organisation créée à l’origine pour garantir la paix et la sécurité dans le monde soit aujourd’hui instrumentalisée par les grandes puissances pour assouvir leurs desseins. Cette situation s’explique par le fait que le fonctionnement actuel de l’ONU est basé sur les rapports de force entre les Etats plutôt que sur le principe de l’égalité souveraine entre ces derniers. Dans ce contexte, les plus forts (détenteurs du droit de veto), influencent l’organisation dans le sens de leurs intérêts et des arrangements réciproques qu’ils se concèdent. En Côte-D’Ivoire comme en Libye, les résolutions du conseil de sécurité ont servi de base légale pour les attaques militaires. Dans les deux cas, les « puissances intéressées » ont été à l’origine de la plupart des résolutions pour l’adoption desquelles elles ont été très actives dans les couloirs. Par la suite, ces résolutions ont été allègrement outrepassées et appliquées selon les intérêts de ces puissances.  

Comme nous pouvons le constater, la quête de la liberté et de la démocratie constitue aujourd’hui le prétexte idéal pour une intervention directe des grandes puissances dans les affaires intérieures des Etats. Mais il ne faut pas s’y tromper. De telles ingérences visent uniquement à placer au pouvoir des régimes qui leur sont favorables. C’est pourquoi, ces mêmes prophètes de la démocratie protègent sous d’autres cieux des régimes dictatoriaux dont le seul mérite est de leur être entièrement dévolu. A titre d’exemple, le Président Tchadien, Idriss DEBY, doit son fauteuil, au soutien militaire de la France en Février 2008 contre les rebelles qui avaient pratiquement conquis N’djamena. Idriss DEBY est-il plus démocrate que Laurent GBAGBO ou Mouammar KADHAFI ? Peu importe, avec lui, la France a accès au pétrole tchadien. Aussi, avec l’actuelle crise financière internationale et l’apparition de nouveaux pays émergents (Chine, Inde, Brésil), nous assistons à une exacerbation des rivalités entre les puissances dominantes. Cette situation appelle à un nouveau partage du monde. Les guerres sont un moyen d’établir de nouveaux rapports de domination. Dans ce contexte, la proclamation officielle des valeurs de liberté, de démocratie et de respect des droits humains ne vise qu’à légitimer les guerres menées. C’est ainsi que les aspirations légitimes des peuples en lutte sont dévoyées en vue de maintenir et consolider le système de domination, d’exploitation et de pillage des ressources des pays dépendants. Ce système lui-même est à la base de bien de violations des droits de l’Homme. Pour toutes ces raisons, la lutte des peuples pour la démocratie et un mieux être doit s’accompagner nécessairement d’une prise de conscience en faveur de leur émancipation nationale comme préalable indispensable à l’effectivité des droits humains. C’est à ce prix et seulement à ce prix qu’une révolution acquiert toutes ses lettres de noblesse.

 

Aly SANOU



28/03/2012
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