MOUVEMENT BURKINABÈ DES DROITS DE L\'HOMME ET DES PEUPLES (MBDHP)

FORCES ARMEES NATIONALES : LA CRISE PERDURE

L’on s’en souvient comme si c’était hier, les 20 et 21 décembre 2006, des éléments des forces armées nationales, suite à une altercation entre militaires et policiers et en représailles, s’étaient attaqués violemment, avec des armes subtilisées dans les camps militaires, à la police nationale (Direction Générale de la police nationale, commissariat central de police, Compagnie Républicaine de Sécurité, etc.). Ces faits avaient surpris et indignés plus d’un Burkinabè qui n’avait jamais imaginé un tel comportement de la part de nos militaires.

 

Cinq (5) années après, une condamnation de militaires impliqués dans des affaires de mœurs, a à nouveau déclenché une série de mutineries qui ont touché l’ensemble des camps militaires de notre pays. Durant près de deux (2) mois, les populations ont été terrorisées par des tirs à l’arme de guerre. Des commerces ont été pillés et vandalisés, des personnes ont été tuées et d’autres - les plus "chanceux" -, blessées par des balles perdues, des femmes ont été violées, etc. Le régiment de sécurité présidentielle, garde prétorienne du Chef de l’Etat est même entré dans la danse au point où le Président du Faso a dû déserter son palais durant quelques heures.

Ces actes, dont tout le monde s’accorde sur l’extrême gravité, marquent un tournant important dans l’histoire de notre armée nationale. De ce point de vue, ils nous interpellent au plus haut point.

En réalité, les évènements de ces derniers mois traduisent la crise profonde qui mine les forces de défense et de sécurité de notre pays (FDS). Celles-ci sont aujourd’hui dans un état de délabrement (moral et organisationnel) assez avancé. Plusieurs causes expliquent cet état de fait. Il convient de rappeler d’abord que l’histoire politique du Burkina Faso est émaillée par plusieurs intrusions des forces armées dans la vie politique. En cinquante années d’indépendance formelle, le pays a connu six (6) Chefs d’Etats. Depuis le renversement de la 1ère République le 03 janvier 1966, les militaires sont intervenus de façon intempestive pour confisquer le pouvoir politique par des coups d’états plus ou moins sanglants. Ainsi, au fil des années s’est développée et consolidée une tendance putschiste au sein de l’armée. Depuis le « retour à une vie constitutionnelle normale » marqué par l’adoption de la constitution du 11 juin 1991 instituant la 4ème République, la relative stabilité politique qu’a connu notre pays n’a jamais eu pour fondement l’existence et le fonctionnement d’Institutions démocratiques s’appuyant sur des valeurs républicaines. Bien au contraire, l’armée a toujours été le principal pilier du régime en place. A ce titre, elle a bien souvent servi d’instrument de terreur contre les opposants politiques, les journalistes et autres défenseurs des droits humains. L’on se rappelle avec frayeur la terrible formule « si tu fais, on te fait et il n’ya rien » issue de milieux de l’armée et traduit en actes à travers de nombreux assassinats politiques qui ont jalonné l’histoire de la 4ème République (DABO Boukary, Guillaume SESSOUMA, David OUEDRAOGO, Norbert ZONGO et ses trois compagnons, etc.). Les commanditaires et auteurs de tous ces crimes ont toujours bénéficié d’une parfaite impunité. En outre, en tant que pilier du pouvoir, l’armée a également été mise à contribution dans la répression des mouvements sociaux de contestation. C’est ainsi qu’en juin 2008, des éléments du Régiment de Sécurité Présidentiel (RSP), appuyés par la Gendarmerie nationale et la compagnie républicaine de sécurité (CRS) ont tiré à balles réelles sur des étudiants dont le seul tort était de revendiquer de meilleures conditions de vie et d’études. Fort heureusement, aucune perte en vie humaine ne sera déplorée. En juillet 2010 à Gaoua, des éléments du 21ème régiment d’infanterie commando (RIC) ont également tiré à balles réelles sur des manifestants aux mains nues faisant deux (2) morts. Tous ces faits restés sans suite, n’ont suscité aucune espèce d’émotion de la part de la hiérarchie militaire ; ce qui a contribué à développer au fil des années un sentiment d’impunité au sein des FDS qui ont acquis l’habitude de prendre à partie les populations civiles sans qu’aucune sanction ne leur soit infligée. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que des militaires mécontents pillent des commerces, terrorisent les populations et violent des femmes. Après  tout, que doivent-ils craindre ?

Pratiques mercenaires

A ces éléments constants, tenant aux habitudes et attitudes actuelles des éléments de nos forces de défense et de sécurité, il y a lieu de relever l’esprit mercenaire introduit au sein de celles-ci, du fait d’orientations aventuristes en matière de politique étrangère. En effet, divers rapports des Nations unies et d’autres organisations internationales ont à maintes reprises, fait état d’intervention de militaires burkinabè sur des théâtres d’opérations à l’étranger, en dehors de tout cadre officiel ou conventionnel. L’exemple avéré du Libéria ainsi que les fortes présomptions sur la présence de militaires burkinabè en sierra-Léone et en Côte-D’ivoire sont généralement cités pour en attester.

Au regard de ce qui précède, il est indispensable d’envisager des mesures concrètes pour doter notre armée des vertus d’une armée républicaine au service exclusif de son peuple et non à la solde d’un groupe politique. Pour ce faire, il est impératif de mettre un terme à l’impunité des crimes de sang et des crimes économiques au sein des FDS en traduisant en justice tous les auteurs et commanditaires de tels forfaits. Dans le même sens, il faut mettre fin à l’esprit et aux pratiques mercenaires au sein des FDS en évitant d’envoyer nos militaires sur des théâtres d’opération extérieure en dehors de tout cadre légal. Dans l’immédiat, des mesures concrètes devraient être prises en vue d’améliorer les conditions de vie et de travail de la troupe (salaire en adéquation avec le coût de la vie, dotation conséquente en matériel, en tenues, construction de casernes, etc.). Les carrières devraient être également gérées sur les bases objectives tenant au mérite, afin qu’à chaque grade se trouvent des hommes et des femmes compétents (es). C’est à ce prix que se construira une véritable armée apte à garantir la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale de notre pays et à nous prémunir contre toute intervention militaire étrangère, sous quelque prétexte ou mandat que ce soit, ainsi que cela se constate aujourd’hui avec la présence de troupes étrangères (françaises notamment) sur notre territoire, soit disant pour nous aider à lutter contre AQMI et le terrorisme dans notre pays et dans la sous-région. Une armée nationale burkinabè forte, disciplinée et véritablement en phase avec son peuple, celle que nous appelons de tout cœur, en serait pleinement capable.

 

Aly SANOU



28/03/2012
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